Du télégraphe à l’Internet - Le service météorologique au Canada depuis 1871

Communiquer la météo 

Le 25 août 1873, lorsque la pluie se met à tomber au Cap-Breton et que les habitants des petits ports isolés et des fermes rentrent chez eux et s’assurent que leurs portes et leurs volets sont bien fermés, peu s’attendent à plus qu’une tempête de fin d’été. Mais au cours de la nuit, un ouragan qui se développait depuis une semaine au-dessus de l’Atlantique remonte la côte des États-Unis et frappe violemment la partie est du Cap-Breton. 

Le lendemain, au milieu de l’après-midi, on ne peut que constater le large couloir de destruction créé par le cyclone. Les journaux sont remplis de récits de navires à vapeur entraînés à la dérive et de ponts emportés par les pluies diluviennes qui ont accompagné les vents violents. Bilan final : près de mille morts, quelque 1200 bateaux coulés ou fracassés et des centaines de maisons et de ponts détruits.

Pourtant, la veille, les météorologues à Toronto avaient prévu que l’ouragan frapperait les Maritimes, mais ils n’ont pu donner l’alerte parce que les communications télégraphiques avec Halifax étaient rompues.

Après la côte, où les fermes ont été inondées et les localités, balayées par les vents, c’est à Ottawa, 1500 kilomètres plus à l’ouest, que l’ouragan est le plus ressenti. Le désastre suscite un tel tollé que les politiciens délient les cordons de la bourse de l’État et annoncent la mise sur pied d’un système national d’alerte météorologique. Cela donne un élan majeur au nouveau service météorologique du Canada, créé à peine deux ans plus tôt, en 1871.   

La principale mission d’un service météorologique est de diffuser rapidement l’information météorologique. La prévision la plus parfaite n’a aucune valeur si elle ne parvient pas au public à temps. Ainsi, le service météorologique canadien a toujours été l’un des plus gros consommateurs de services de télécommunications au Canada, créant et adaptant des techniques afin de communiquer plus rapidement et à plus de gens les renseignements météorologiques les plus complets.

En fait, les télécommunications ont aidé à transformer la météorologie, passant d’une science intéressante à une science utile, et ont rendu possibles les services météorologiques nationaux. D’autre part, le besoin fondamental de la société d’être avertie des conditions météorologiques menaçantes a souvent été à l’origine de nouvelles techniques de communications, comme le télégraphe, le radiotéléphone et le répondeur téléphonique. Les télécommunications et les services météorologiques ont sans contredit évolué de pair. 

Les années d’apprentissage

Au milieu du dix-neuvième siècle, la météorologie et la prévision sont encore en période d’apprentissage. Dans le Haut et le Bas Canada, les gens prédisent le temps d’après les conditions locales et les dictons météorologiques, comme «gros nuages, temps d’orage».

L’invention du télégraphe par Samuel Morse en 1844 marque le début d’une ère nouvelle en météorologie. Pour la première fois, les prévisionnistes disposent d’un outil qui permet de communiquer les observations à de grandes distances, de prévenir les populations des villes se trouvant sur la trajectoire prévue d’une tempête (lorsque les lignes ne sont pas endommagées) et d’annoncer à d’autres de belles journées ensoleillées.

En 1876, des lignes télégraphiques terrestres relient toutes les villes importantes de l’Est du Canada. Les prévisions météorologiques pour les 24 prochaines heures sont diffusées à partir de Toronto, à 10 h tous les jours, sauf les dimanches. En comparaison avec aujourd’hui, les prévisions sont courtes et simples. Par exemple, celles pour le 1er janvier 1878 dans les Maritimes se limitent à : Vents décroissants variant du nord à l’ouest, dégagement et temps plus froid. 

La diffusion de ces prévisions, par contre, est loin d’être simple. La prévision est d’abord envoyée par télégraphe. À destination, le responsable place la carte météorologique sur un tableau d’affichage vitré, installé dans un endroit public comme à l’extérieur du bureau du télégraphe, de la poste, de l’école ou de la gare. Aux États-Unis, en plus d’afficher les prévisions journalières, certaines localités utilisent des drapeaux, des sifflets à vapeur, des projecteurs et même des sirènes et des bombes pour informer les gens du temps prévu. 

Dans les grandes villes, la plupart des journaux de l’après-midi commencent à publier les bulletins météorologiques télégraphiés dès qu’ils sont disponibles.  Au début, ils font simplement état des maxima et des minima enregistrés la vielle à divers endroits au pays; la publication des prévisions vient plus tard. Pour les municipalités rurales situées le long du chemin de fer entre Windsor et Halifax, un ingénieux système est mis en place en 1884 pour communiquer l’information météorologique.

Après avoir reçu le bulletin du matin du bureau météorologique central à Toronto, les agents des chemins de fer fixent de gros disques métalliques sur les fourgons à bagages ou les locomotives; ces disques ont une forme différente selon le système météorologique qui approche. Ainsi, les agriculteurs travaillant dans les champs savent qu’on annonce du beau temps en voyant passer une pleine lune; un croissant de lune leur indique des averses prochaines; une étoile, une période de pluie prolongée.

Les 35 stations d’avertissement en place dans les ports des Grands Lacs, du Saint-Laurent et de la côte Atlantique utilisent une méthode similaire pour signaler aux marins l’approche d’une tempête. Le bureau central de Toronto les envoie; le personnel responsable dans les ports accuse réception du message par télégraphe, puis, selon les conditions météorologiques prévues, hisse des paniers en osier, des cônes ou des barils en haut de mâts ou de poteaux. Ce système très simple est si efficace qu’on attendra les années 1950 pour fermer la dernière station qui l’utilise.

Utiles, certes, ces premiers systèmes ont cependant des lacunes à cause des contraintes de temps et d’espace. Souvent, les prévisions sont déjà vieilles lorsqu’elles sont publiées dans les journaux ou lorsque le pilote d’un bateau aperçoit les signaux d’avertissement. Trop souvent aussi, les personnes qui doivent changer les signaux en fonction des prévisions ne le font pas ou le font trop tard pour que l’information soit utile. On commence alors à douter de la fiabilité de tout le système.

En outre, lorsque les services météorologiques commencent à se répandre au pays, les autorités se rendent bien compte que les prévisions ne parviennent qu’à une fraction de la population. Par exemple, le sud de la Colombie-Britannique possède déjà un service météorologique en 1894, le Manitoba crée le sien en 1899, la Saskatchewan et l’Alberta en font autant en 1903, puis Terre-Neuve, en 1910.

Une percée de la radio sans fil

Dans les années 1920, une percée technologique, la radio sans fil, change tout. Comme le télégraphe 70 ans plus tôt, la radio révolutionne la façon dont l’information météorologique est communiquée aux Canadiens. 

L’information peut maintenant être obtenue de centaines de stations météorologiques éloignées, dispersées dans toutes les parties du pays, et elle peut être transmise à des chantiers forestiers éloignés, à des populations insulaires et même à des bateaux en mer. Une dizaine d’années plus tard, les nouvelles et les prévisions météorologiques nationales sont devenues un élément important des émissions de radio quotidiennes.

Dans les années 1930, une équipe de quatre météorologues produit deux fois par jour, à 9 h 40 et à 21 h 40, des prévisions météorologiques pour tout le Canada, sauf pour le sud de la Colombie-Britannique. Établies à partir des données communiquées par plus de 215 stations dispersées dans toute l’Amérique du Nord, ces prévisions portent sur les 36 à 48 prochaines heures, parfois même les 60 prochaines heures.

Elles sont diffusées le plus largement possible par les moyens traditionnels (journaux quotidiens et affichage des cartes et des bulletins métrologiques quotidiens sur des bâtiments publics) ainsi que par le téléphone, le réseau gouvernemental de télégraphie sans fil et les stations de radio.

En 1935, le Service météorologique du Canada produit quotidiennement un aperçu de la situation météorologique générale et des prévisions couvrant l’ensemble du pays pour le bulletin de 22 h 35 (heure normale de l’est), diffusé sur le réseau transcanadien de la Commission canadienne de la radiodiffusion (l’ancêtre de Radio-Canada).

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les autorités canadiennes et américaines interdisent la diffusion et la publication de l’information météorologique dans toute l’Amérique du Nord. Elles permettent toutefois la radiodiffusion de certains bulletins locaux et la publication de cartes météorologiques dans les journaux, mais, pour des raisons de sécurité, il est défendu de parler de la brume, de la visibilité, de la pression atmosphérique, de la direction des vents et de la hauteur des nuages.

Même les commentateurs des parties de baseball ne peuvent rien dire sur la météo. La petite histoire veut qu’un commentateur aurait un jour déclaré à son auditoire de regarder dehors pour comprendre pourquoi la partie était interrompue. 

Après la guerre, la radio devient le moyen naturel de diffuser l’information météorologique car elle permet la mise à jour rapide des bulletins pendant la journée. Cela est encore vrai aujourd’hui avec la diffusion, chaque jour, de fréquents bulletins météorologiques par des centaines de stations AM et FM.

Il y a un autre type de radio que vous pourriez probablement trouver dans la cabine des moissonneuses-batteuses des producteurs de blé de la Saskatchewan, dans les bateaux des pêcheurs de homard de la Nouvelle-Écosse et dans les camps de pêche ou pourvoiries du Nord de l’Ontario : Radiométéo.

Depuis 1976, Radiométéo transmet de façon continue des bulletins météorologiques par le truchement d’un réseau de stations radio VHF-FM de faible puissance. Ce service, offert par Environnement Canada et auquel a accès plus de 90% de la population, diffuse des messages enregistrés indiquant les veilles et les alertes météorologiques, les prévisions pour le grand public et la navigation ainsi que les conditions météorologiques actuelles.

Les séquences enregistrées, qui se répètent suivant un cycle de cinq à dix minutes, sont révisées régulièrement. Les récepteurs Radiométéo sont portatifs, peu coûteux et disponibles dans la plupart des magasins d’électronique au Canada. En outre, certains peuvent émettre un signal sonore ou lumineux en cas de prévision de temps violent.

Météo pour branchés 

La télévision est restée le moyen le plus populaire et le plus efficace de diffusion de l’information météorologique depuis la présentation du premier bulletin, le 8 septembre 1852 par CBLT-TV à Toronto. Dans les premiers temps, les présentateurs utilisaient des crayons gras et des marionnettes pour illustrer ce qu’ils disaient.

Aujourd’hui, la plupart des segments météorologiques sont appuyés d’images radar et d’animations informatiques. En 1988, Météomédia et son équivalent en anglais, The Weather Network, devenaient les premiers canaux exclusivement dédiés à la météo, deux parmi quelques rares réseaux à faire de même dans le monde.

Néanmoins, il reste des vestiges des vieux systèmes qui ont simplement été modernisés. En 1900, des douzaines de résidants des municipalités rurales appelaient les téléphonistes pour se faire lire les prévisions du matin.  Aujourd’hui, les Canadiens sont beaucoup plus susceptibles d'aller sur Internet pour savoir le temps qu’il fera. En fait, le site Web d’Environnement Canada, météo.gc.ca, reçoit en moyenne plus d'un demi-milliard de visites individuelles chaque année.

Le site Web météo.gc.cadonne à quiconque dans le monde un accès instantané aux dernières prévisions météorologiques pour tout le Canada: les prévisions à court terme, les prévisions pour sept jours, l'indice UV, ainsi que la cote air santé(CAS).

La puissance accrue des micro-ordinateurs permet aux mordus de la météo d’utiliser les mêmes outils que les météorologues professionnels.  L’agriculteur des Prairies et le capitaine de bateau du Cap-Breton peuvent télécharger sur leur ordinateur portatif les images des radars et des satellites fournis par différents services météorologiques dans le monde. Ils peuvent regarder se développer un ouragan au-dessus de l’Atlantique et suivre sa progression sur la côte est des États-Unis. Ils peuvent déterminer de manière beaucoup plus éclairée s’ils peuvent attendre tranquillement chez eux qu’une tempête passe ou s’ils doivent rapidement gagner un endroit plus sûr.