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Prévisions des émissions de gaz à effet de serre : Leçons tirées des pratiques exemplaires internationals

Discussion

Bien que les études de cas donnent lieu à de nombreuses conclusions intéressantes en ce qui a trait aux pratiques exemplaires dans la prévision des émissions de GES, il est important de déterminer dans quelle mesure les études de cas suivent les critères des pratiques exemplaires traités dans les sections 4.1 et 4.2. Il est également important de comprendre de quelle façon la méthodologie de la prévision et la gouvernance sont interdépendantes. Y en a-t-il une qui dépend de l’autre? Une méthodologie bien développée seule donne-t-elle des prévisions solides? Est-il possible que des pays aient des prévisions précises sans gouvernance solide en matière de politique sur les changements climatiques? Une gouvernance solide constitue-t-elle un facteur important de la détermination de prévisions précises?

Comme les approches des États-Unis et du Royaume-Uni sont assujetties à un important examen par les pairs, à une analyse rigoureuse et à une mise à jour constante, c’est probablement à partir d’un point de vue méthodologique qu’ils produisent des prévisions précises des émissions.

D’un point de vue de la gouvernance, il est préférable d’avoir un organisme central ou un groupe qui réalise ou coordonne la prévision des émissions. Toutefois, cela ne nuit pas nécessairement d’avoir plusieurs sources de prévisions, découlant de la compétition entre les prévisionnistes et également de la caractérisation d’une incertitude associée aux modèles facilitée par de nombreux modèles. Cela est seulement préférable, toutefois, si le cas souvent cité de nombreux prévisionnistes qui ne communiquent pas entre eux, ne comparent pas leurs résultats et ne tirent pas des leçons des erreurs des autres est évité. Mais les nombreux groupes de prévisionnistes qui discutent, comparent et apprennent peuvent produire de meilleures prévisions qu’un seul groupe. Seulement dans cette situation, mais toujours avec la coordination d’un organisme central, une démarche provenant de plusieurs sources à l’égard de la prévision des émissions est utile.

Il est également important de garder à l’esprit que différents organismes gouvernementaux ont évidemment des problèmes différents à régler et différents objectifs en matière de politiques et de programmes; ainsi, des modèles différents peuvent aider à obtenir les réponses appropriées dont ils ont besoin individuellement[35]. Cette situation ne signifie toutefois pas qu’elle devrait être reproduite dans le cas de difficultés intégrées complexes de la prévision d’émissions de GES à grande échelle, qui constitue la démarche actuelle du gouvernement canadien. Toutefois, au lieu que chaque ministère présente ses estimations à Environnement Canada, il serait préférable que les divers ministères qui produisent les différentes prévisions se rencontrent régulièrement pour comparer les résultats et tentent d’arriver à un consensus sur des questions d’intérêt commun, ou au moins qu’ils apprennent des tentatives des autres. Même si aucun consensus n’est possible, la diversité des résultats pourrait indiquer une incertitude attribuable à un manque de connaissances du modèle principal.

Dans le domaine de la gouvernance, les États-Unis et le Royaume-Uni ont reçu l’éloge de la CCNUCC pour l’uniformité de leurs démarches à l’égard des prévisions. À part les États-Unis et le Royaume-Uni, il est important de noter les engagements récents des autres gouvernements étudiés pour les besoins de ce rapport, mais qui ne sont pas inclus comme pays adoptant des pratiques exemplaires. Les gouvernements norvégien et australien se sont engagés à mener des examens indépendants par les pairs ainsi que des prévisions centralisées et ils ont élaboré une politique ambitieuse sur les changements climatiques (notamment des cibles importantes de réduction) en général. Cette situation intéresse particulièrement le Canada, puisque ces gouvernements font face à des difficultés économiques et administratives semblables.

À l’exception du Royaume-Uni, les autres études de cas (États-Unis, ainsi que la Norvège et l’Australie) révèlent le manque d’examens indépendants par les vérificateurs du gouvernement sur l’exactitude des prévisions des émissions. Dans le cas du Royaume-Uni, on peut dire que les vérifications menées par une autorité fédérale indépendante et un institut de recherche universitaire favorisent la compréhension et la crédibilité de ses prévisions.

Un enjeu important réside dans les critiques suscitées dans tous les gouvernements par la CCNUCC (et dans le cas du Royaume-Uni, ses propres vérificateurs indépendants) sur les réductions importantes des émissions prévues attribuées aux mesures volontaires. Il existe de nombreux documents sur la réussite mitigée de l'attribution d'un niveau précis pour la réduction des émissions dans le cadre de mesures volontaires. Par exemple, les études mettent en évidence le manque de preuves crédibles sur le rendement des programmes volontaires comparativement à une base de référence réaliste[36]. Dans sa réponse à la LMOPK de 2007, la TRNEE a noté que « à quelques exceptions, il existe (peu de) …preuves grâce auxquelles il est possible d’évaluer les effets graduels des programmes d’information en ce qui concerne le rôle des émissions ou la conservation de l’énergie »[37]*. Cette dépendance à des programmes volontaires peut ainsi soulever des questions sur la probabilité que les prévisions des émissions découlant de ces mesures soient précises. Par exemple, les prévisions des émissions antérieures au Canada dépendaient de mesures et de programmes volontaires pour donner des réductions importantes et dans tous les cas, elles ont surestimé les réductions des émissions prévues. L’attribution de réductions des émissions importantes aux mesures volontaires continuera, de par leur nature même, de donner lieu à des prévisions inexactes des émissions. De cette façon, les questions touchant la gouvernance et la méthodologie soulevées dans notre analyse indiquent que les décideurs envisagent des mesures de rechange en matière de politique sur les changements climatiques pour atteindre les réductions des émissions de GES désirées.

Quelle est la force du lien entre une bonne méthodologie de prévision et une bonne gouvernance dans la production de prévisions des émissions exactes? D’un point de vue de la gouvernance, tous les pays étudiés pour les besoins de ce rapport font ressortir que des ministères ou des organismes centraux forts et indépendants devraient être responsables de la prévision des émissions. Dans le cas des États-Unis, un organisme statistique indépendant est chargé de produire les prévisions des émissions de GES de son pays[38]. Lorsqu’il n’y a pas d’organisme statistique indépendant responsable de la prévision (p. ex. le Royaume-Uni), il y a un engagement politique solide et des structures de gouvernance centralisées en place. Par conséquent, une conclusion importante (indiquée à la section 4.4.2) veut qu’à moins que l’organisme responsable de prévoir les émissions de GES n’ait le pouvoir ou l’indépendance nécessaire pour tirer ses propres conclusions professionnelles au sujet de l’efficacité des programmes individuels, il est possible que les prévisions soient orientées par des facteurs axés sur les programmes plus étroits qu’une analyse plus indépendante et intégrée visant des prévisions des émissions de GES dans leur ensemble.

5.1 Leçons pour le Canada

Bien que la discussion précédente et les principales conclusions résumées dans la conclusion ci-dessous fournissent un aperçu important pour le Canada sur les secteurs potentiels à explorer dans sa démarche à l’égard de la prévision des émissions, il est important de déterminer les principales leçons tirées des études de cas pouvant s’appliquer au contexte canadien.

Indépendance de l’organisme/ministère responsable de la prévision

Aux États-Unis, comme dans d’autres pays, chaque ministère ou organisme prépare régulièrement des analyses de programmes particuliers de réduction des GES – habituellement des programmes qu’ils administrent eux-mêmes. Par exemple, l’EPA des États-Unis projette couramment les réductions des émissions découlant de ses programmes volontaires. Bien que ces analyses de l’organisme soient examinées par l’EIA, elles ne sont pas forcément adoptées par l’EIA. C’est un point important. À moins que l’organisme responsable de prévoir les émissions de GES n’ait le pouvoir ou l’indépendance nécessaire pour porter ses propres jugements professionnels au sujet de l’efficacité de chaque programme, il est possible que les prévisions soient orientées par des facteurs programmatiques plutôt qu’analytiques. Une force perçue de l’EIA est qu’elle peut et a le pouvoir et l’indépendance nécessaires pour être en désaccord avec d’autres organismes sur des questions de ce genre.

À l’échelon fédéral canadien, l’organisme existant le plus près de l’EIA en ce qui a trait à la gouvernance serait Statistique Canada. Bien qu’il n’effectue actuellement pas de prévision des émissions, il rassemble des données sur les émissions pour l’inventaire des émissions de GES d’Environnement Canada. En vertu de la loi, Statistique Canada pourrait avoir la responsabilité et le pouvoir exclusif de produire les prévisions des émissions du Canada. L’indépendance de Statistique Canada permettrait de s’assurer que les prévisions des émissions seraient exemptes d’interférence et que l’organisme aurait le pouvoir de contester et, au besoin, de rejeter les estimations des réductions des émissions provenant des ministères. Par contre, le gouvernement fédéral pourrait également suivre l’exemple de l’Australie et créer un nouveau ministère ou organisme fédéral responsable de toute la politique sur les changements climatiques, notamment des prévisions.

Rôles, responsabilités et jalons clairement formulés imposés par la loi pour la politique sur les changements climatiques

Le Climate Change Bill du Royaume-Uni, actuellement assujetti à une consultation publique complète ainsi qu’à un examen prélégislatif au Parlement, énonce une démarche fondamentalement nouvelle et plus structurée à l’égard de l’établissement de cibles de réduction des émissions et de la surveillance du rendement en fonction de ces cibles. Il traduira en loi le but que le gouvernement a annoncé dans le Livre blanc de 2003–à savoir, une réduction de 60 pour 100 du dioxyde de carbone d’ici 2050 par rapport à la base de référence de 1990. Il créera un système de bilans quinquennaux du carbone pour placer le Royaume-Uni sur une trajectoire afin d’atteindre son but à long terme et d’exiger que le secrétaire d’État fixe les bilans du carbone et les respecte pendant jusqu’à 15 ans à l’avance. Un comité externe nouvellement créé sur les changements climatiques sera chargé d’informer le gouvernement sur les bilans du niveau de carbone à fixer, et pour le contrôle des émissions, par des rapports annuels au Parlement qui incluront une évaluation du rendement plus complète après la fin de chaque période budgétaire quinquennale.

Le Canada doit envisager une politique sur les changements climatiques à long terme véritablement intégrée comportant des caractéristiques semblables. Étant donné la nature étendue du défi climatique, qui touche une panoplie de ministères (pas seulement l’environnement), un organisme central d’élaboration de politiques et de coordination qui lie les choix de politiques et de programmes à la prévision des émissions intégrée donnerait probablement lieu à une confiance accrue dans l’efficacité des mesures de réduction des émissions proposées. La législation de son rôle et de son mandat pour intégrer des prévisions et des évaluations indépendantes renforcerait davantage son efficacité et sa confiance dans les approches politiques approfondies. La prestation d’un examen ou d’une vérification externe des prévisions des émissions complèterait cette nouvelle démarche.

Le rôle des provinces et des territoires

Une intention première de ce rapport était de mettre en évidence les pratiques exemplaires dans les compétences autres que les gouvernements nationaux, particulièrement certaines provinces canadiennes et certains États américains. Étant donné les questions de compétence uniques de la politique sur les changements climatiques au Canada, et le fait que 16 mégatonnes de réductions des émissions annuelles dans Prendre le virage sont attribuées aux initiatives provinciales et territoriales, il est important de déterminer si les provinces réalisent des prévisions précises de leurs politiques et mesures sur les changements climatiques.

Avec ses deux derniers rapports sur les enjeux à long terme liés aux changements climatiques et à l’énergie[39], la TRNEE a logiquement demandé une démarche nationale coordonnée à l’égard des questions touchant les changements climatiques au Canada. Si le gouvernement fédéral doit produire des prévisions des émissions nationales précises et s’assurer que les mesures stratégiques adoptées atteignent les réductions prévues, il doit y avoir une meilleure coordination et une compréhension des réductions des émissions projetées découlant des politiques et des mesures sur les changements climatiques des provinces. Les gouvernements au Canada doivent également mieux comprendre les différentes démarches à l’égard des prévisions et de quelle façon des méthodes uniformes peuvent être mises en pratique pour assurer des prévisions précises des réductions des émissions de GES. Les provinces doivent être encouragées à élaborer et à publier des prévisions des émissions détaillées afin d’éclairer leurs propres choix stratégiques nécessaires pour atteindre les cibles de réduction qu’elles se sont fixées.

Prévision de la politique sur les émissions basées sur une mise en situation

Les projections des cas de référence de l’EIA des États-Unis sont basées sur les lois et les règlements en vigueur et elles comportent des prévisions additionnelles qui intègrent les politiques futures. Cette question est particulièrement importante pour le Canada, puisque l’une des préoccupations indiquées à la section 4.3.2 est que l’analyse de la modélisation de Prendre le virage présumait que les « politiques provinciales d’atténuation s’améliorent à la longue et deviennent plus uniformes entre les provinces ». Comme il est indiqué dans la réponse de 2008 de la TRNEE à la LMOPK, les réductions des émissions futures potentielles découlant des mesures provinciales sont comptabilisées comme des réductions des émissions réalisées.

La prévision de la politique sur les émissions basées sur une mise en situation peut aider à traiter cette question. Des analyses canadiennes futures pourraient envisager de commencer par des projections des émissions de GES en fonction des lois et des politiques actuelles et ainsi ajouter des mises en situation explicitement pour refléter des hypothèses à propos des améliorations aux politiques provinciales. Cette même démarche basée sur une mise en situation peut être étendue à une analyse au niveau des politiques, en présentant une prévision des émissions globales avec et sans la politique en place, chacune dans une mise en situation où toutes les autres politiques sont en place. Cette démarche fournit une estimation de l’effet marginal ou incrémentiel de la politique, notamment des rajustements pour le resquillage et les effets de l’interaction des politiques, et en fonction de la structure du modèle, les effets de rebond. Ces estimations peuvent être incluses avec l’analyse actuelle des politiques ou les remplacer. Une telle approche augmenterait au moins la transparence et faciliterait l’évaluation des prévisions futures.


35 Par exemple, un programme ou une mesure en particulier (p. ex., programmes des véhicules éconergétiques) peut exiger un modèle de prévision différent qu’un autre conçu pour une modélisation intégrée à grande échelle.

36 Morgenstern, D. et W.A. Pizer (eds) (2007), Reality Check: The Nature and Performance of Voluntary Environmental Programs in the United States, Europe and Japan. Washington, D.C., RFF Press.

37 TRNEE (2007), « Réponse de la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie à ses obligations en vertu de la Loi de mise en oeuvre du Protocole de Kyoto », p. 11.
* Remarque : Le texte français indique « il existe des preuves » mais aurait dû se lire : « il existe peu de preuves ».

38 Statistique Canada -– organisme fédéral indépendant chargé des statistiques -– recueille des données sur les émissions afin d’établir des rapports, et non d’effectuer des prévisions.

39 TRNEE (2006), Conseils sur une stratégie à long terme sur l’énergie et les changements climatiques; TRNEE (2008), D’ici 2050: la transition du Canada vers un avenir à faible taux d’émission.

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